En guise d’introduction aux festivités de la Fête patronale de Jarjayes, l’Association Trois-Châteaux de Jarjayes (ATC) a eu l’excellente idée de convier Jean-Paul WIRTZ le 28 juin dernier afin d’animer une conférence ayant pour thème l’extraordinaire histoire du vieux village de Chaudun abandonné par ses habitants en 1895.
« CHAUDUN – un événement sans précédent en France, véritable « séisme humain » qui s’est passé chez nous : la vente et l’aliénation au profit de l’État, des biens, tant publics que privés, de l’ensemble de la commune ».
Jean-Paul Wirtz est venu présenter le travail qu’il a réalisé en 1965, quand rien encore n’avait été écrit sur le sujet, travail qui a inspiré de nombreux éditorialistes et auteurs qui ont par la suite développé le sujet et fait connaître au grand public l’histoire de ce village perdu des Hautes-Alpes.
C’est l’histoire d’un village situé dans les Hautes-Alpes, à quelques lieues de Gap, retiré, victime de la surexploitation des pâturages, et vendu par ses habitants à l’Administration des Eaux et Forêts, laquelle souhaitait engager une vaste opération de reboisement.
L’histoire officielle veut que ses habitants isolés de tout, dans un pays qui ne pouvait plus les nourrir à cause du pâturage intensif qui avait conduit à un appauvrissement des sols et donc à une baisse de leurs revenus, réduits à une misère extrême, s’étaient découragés et ont été contraints à adresser au Ministre de l’Agriculture à Paris une pétition pour proposer au gouvernement l’achat du territoire de leur commune.
La version de Jean-Paul Wirtz diffère un peu de l’ interprétation officielle. Sa conviction, c’est que les habitants de Chaudun ont été « encouragés » à vendre leur pays.
Son idée est donc que ces derniers ont été fortement influencés par les autorités, notables et autres riches propriétaires qui leur ont soufflé toutes les meilleures raisons du monde pour quitter leur pays, « d’autant qu’à cette époque sévissait dans la région une forte fièvre migratoire, que d’autres intérêts étaient en jeu et que ces gens, déjà dans le doute, ont été très fortement influencés et finalement un peu poussés vers la sortie ».
En témoigne la fameuse pétition, écrite dans un style parfait, peu commun aux habitants de nos montagnes à cette époque, envoyée par les villageois le 28 octobre 1888 à «Monsieur le ministre de l’Agriculture à Paris» afin de lui décrire leur situation dramatique .
« Les habitants, pour 18 000 Francs, ont vendu leurs immeubles à l’Etat ; ce qui constitue un événement sans précédent en France.
Tout cela pour l’œuvre du reboisement car toute la montagne était pelée à ce moment-là, mais comme dans toutes les montagnes de chez nous, il fallait reboiser à tout prix, quoi qu’il en coûte d’argent ou de considérations humaines ».
La plupart des habitants n’ont touché que de faibles indemnités, parfois juste suffisantes pour leur permettre d’aller s’installer dans une autre commune, parfois en Algérie ou dans les amériques pour les plus chanceux .
A Chaudun, l’État mit les grands moyens. L’administration des Eaux et Forêts réhabilita le chemin, éleva deux barrages pour couper et retenir le torrent et planta des pépinières de millions d’arbres aux essences variées pendant 17 longues années.
Aujourd’hui, le reboisement est une belle réussite. La végétation a colonisé les lieux mais il ne reste plus trace d’une existence humaine passée et l’on reconnaît à peine les ruines de l’ancien village maintenant disparu.
Jean-Paul Wirtz est, comme son nom ne l’indique pas forcément, un véritable haut-alpin. Né à Gap en 1945, il n’a jamais vécu ailleurs que dans notre département, et a habité pendant plus de 15 ans au pied de Charance à La Garde, pas loin de Chaudun, puis à Saint Bonnet, Bréziers, Valserres et Chorges.
Très jeune, il voulait être instituteur et a fait l’Ecole Normale en 1965, et dans ce cadre il devait, à l’issue de sa formation, présenter un mémoire, le sujet étant libre.
Nourri très tôt d’une passion pour Chaudun, le sujet, sur lequel rien, pratiquement, n’avait été écrit à ce moment-là, s’est donc assez naturellement imposé à lui, encouragé en cela par son professeur d’histoire-géo, Monsieur Paul PONS.
S’en sont suivies de nombreuses, parfois fastidieuses mais passionnantes recherches réunissant photos, témoignages, archives…
« Il faut ajouter à cela que j’avais la chance, à cette époque, de connaître une personne, d’une vivacité d’esprit étonnante, qui était née et avait vécu jusqu’à l’âge de vingt et un ans à Chaudun ».
Il s’agit de Monsieur Pierre Cyrille CHABRE qui était né le 27 novembre 1871 à Chaudun, et avait vécu de près les évènements qui ont conduit à la vente du village
« Celui-ci avait une idée très précise et beaucoup de convictions concernant les événements qui ont conduit à la disparition du pays. Il était persuadé que les gens avaient été manipulés et très fortement influencés et finalement un peu poussés vers la sortie, ce qui n’a pas manqué de nourrir mon jugement ».
M. CHABRE est décédé le 28 avril 1968.
Jean-Paul intégrera l’Education nationale comme enseignant puis comme conseiller pédagogique et fera toute sa carrière dans les Hautes Alpes où il exercera le métier passionnant d’instituteur.
Jean-Paul Wirtz n’a jamais rien publié sur ce sujet, mais ses recherches ont été largement partagées et son manuscrit qui a beaucoup circulé malgré tout, le premier du genre, servira de point de départ à d’autres qui eux aussi se pencheront sur le drame de Chaudun et de ses habitants.
La conférence a réuni environ une quarantaine de personnes dans la salle polyvalente de la commune, et a eu un certain succès malgré l’heure inhabituelle et l’absence des élèves de l’école de Jarjayes qui n’ont pu se déplacer.
L’Association Trois-Châteaux de Jarjayes remercie vivement Jean-Paul WIRTZ pour son exposé très intéressant, illustré de photos quelquefois inédites, ainsi que son épouse Marie-Thé qui a assuré la technique. Nous souhaitons aujourd’hui rendre hommage à ce passionné et découvreur méconnu de l’histoire d’un village haut-alpin à l’extraordinaire destin.
L’Equipe d’ATC.
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