En plein été, à Jarjayes, lorsqu’une moissonneuse batteuse pénètre sur un champ de blé, on observe le conducteur dans sa cabine climatisée. Celui-ci procède à quelques réglages à l’aide de commandes électroniques et la récolte commence ; au fur et à mesure de la progression de la machine, la barre de coupe suit en hauteur les aspérités du terrain et le grain chemine dans la moissonneuse jusqu’à une trémie où il est momentanément stocké en attente d’une remorque ou d’un camion qui viendra se ranger le long de la machine pour transférer la récolte.
Nous sommes en 2023, la technologie aidant, la moisson est plus facile, plus rapide, moins pénible pour l’agriculteur et c’est un bien.
Je vous propose de remonter dans le temps pour connaître l’évolution de la culture du blé.
Il y a soixante-dix ans, à Jarjayes, les surfaces de terrain réservées aux céréales étaient plus importantes qu’actuellement. Les champs d’avoine destinés à la nourriture des chevaux de trait, de seigle pour l’alimentation humaine côtoyaient le blé et l’orge.
La préparation des labours d’automne ou de printemps se faisait par l’apport de fumier avec un tombereau ; arrivé sur le champ, le fumier était déchargé en petits tas alignés, puis à la main avec un trident, « écarté » de manière à ce qu’il recouvre la surface du sol.
Le labour suivait avec l’aide d’un brabant à socs réversibles tiré par deux ou trois chevaux, à l’exception des bœufs d’Isidore Méyère sur sa propriété de champ Espérant.
Labour à Plan Chateau
Yvan Sarret et Guy Bertrand mènent le brabant -(photo Y. Sarret – 1948)
A la fin du labour, le terrain était hersé de manière à éclater les mottes, émietter le sol, l’égaliser et éventuellement sortir les pierres. Le semis se faisait à la main, à la volée.
Ci-contre : Le semeur de Jean-François Millet
Suivait une nouvelle séance de hersage avant de rouler le sol pour bien faire adhérer les grains à la structure de la terre.
La croissance des céréales, semées à l’automne, était liée à la présence de neige qui comme un manteau protégeait les végétaux des gels les plus sévères, mais aussi au printemps des pluies plus ou moins abondantes.
Personne n’employait de produits chimiques pour détruire les mauvaises herbes plus ou moins présentes au milieu des céréales (coquelicots, bleuets…) mais, au printemps, pour favoriser la croissance, les engrais azotés étaient épandus.
Au début de l’été, le temps des moissons arrivait. En peu d’années, on assiste à une évolution des techniques, spectaculaire. On se souvient du fauchage à la main effectué généralement par équipe
Un faucheur assisté d’une ou deux personnes chargées de lier les paquets d’épis pour constituer des gerbes.
Ce mode de récolte est remplacé par des faucheuses à traction animale. Sur la faucheuse, deux personnes : un « conducteur » des chevaux et un ouvrier à côté de la barre de coupe, abaissant un panneau sur le sol pour déposer les épis accumulés lorsque leur nombre pouvait constituer une gerbe.
Ensuite, il fallait attacher à la main les gerbes déposées sur le sol.
L’évolution suivante est due à l’arrivée de la moissonneuse lieuse. Cette machine, comme son nom l’indique, coupe le blé, forme les gerbes, les attache avec une ficelle et les dépose sur le sol.
La moisson: carte postale ancienne
La moisson: les deux systèmes: l’ancien à la faux et le moderne à la moissonneuse lieuse.
Dans les trois cas évoqués ci-dessus, les gerbes restent sur le sol.
Ne pouvant les laisser en l’état, les agriculteurs ramassaient les gerbes pour confectionner des « gerbiers » ressemblant de loin à de petites huttes de paille.
Ces gerbiers étaient souvent le refuge des souris qui trouvaient là une nourriture abondante mais aussi des serpents.
Il ne fallait pas que ces gerbiers restent trop longtemps dans les champs car, avec la pluie, la récolte pouvait pourrir et les grains les plus exposés germaient.
La dernière phase est le battage. Avant celui-ci, on assistait à un balai incessant de charrettes, puis de remorques transportant les gerbes des champs à la ferme.
Et là, deux techniques se sont succédées :
Le foulage et le battage
Issues des siècles passés et jusqu’aux années 1950, il n’était pas rare d’assister à des scènes de « foulage » dans les fermes de Jarjayes.
Sur une aire de terre, tassée et très propre, les agriculteurs déchargeaient les gerbes de blé, écartaient les épis sur le sol pour former un matelas d’au moins 20cm d’épaisseur puis les chevaux ou mulets entraient en action et tournaient sur l’aire en tirant un rouleau de pierre très lourd.
Passage du rouleau à Jarjayes
Maryse et Yvan Sarret (photo Y. Sarret – 1948)
Sous leur poids, les épis se désintégraient et les grains accompagnés de leurs enveloppes tombaient sur le sol (dépiquage).
A intervalles réguliers, avec une grande fourche en bois recourbé, les épis étaient secoués et retournés afin que les nouveaux passages du rouleau soient productifs.
Lorsque les épis étaient vides, les animaux quittaient l’aire, la paille secouée une dernière fois à l’aide de la fourche était évacuée vers la grange ou empilée à l’extérieur pour confectionner le « paillé » de forme circulaire ou rectangulaire.
Les grains et leur enveloppe sont alors balayés en un tas, généralement au milieu de l’aire, puis on installe le « ventoire ».
Cet appareil actionné à la main à l’aide d’une poignée manuelle est en fait un tamis géant à mouvement alternatif traversé par un courant d’air produit par les pales d’une roue à aube.
Les grains plus lourds traversent le tamis et les enveloppes très légères s’envolent à l’extérieur de l’appareil. Ces enveloppes appelées « poussiers » servent à l’alimentation des animaux de la ferme.
Peu à peu, cette pratique a fait place au battage.
En un ou plusieurs jours, la totalité de la récolte était traitée.
A Jarjayes, vers les années 1955, 1960, trois exploitants avaient leur batteuse. Celles-ci allaient de ferme en ferme. Toujours les mêmes. Une certaine concurrence existait entre les machines des familles Marcellin au village, Meyzenq à St Martin et Rostan à la Roche.
La batteuse s’installait sur une aire plane au pied du ou des grands gerbiers regroupant toute la récolte.
Scene de battage à Jarjayes (après guerre)
Photo M.C. Matthieu
Actionnée par un moteur auxiliaire ou par la poulie d’un tracteur, la batteuse accomplissait successivement plusieurs tâches :
1) Séparer le grain de l’épi
2) Tamiser le grain
3) Secouer la paille et l’évacuer
4) Ventiler les graines pour séparer celles-ci des enveloppes
5) Acheminer les graines vers les sacs
6) Evacuer le « poussier ».
Certaines machines se voyaient équipées d’une botteleuse, en aval du circuit. Des bottes de pailles rectangulaires de 25 à 40 kgs étaient beaucoup plus faciles à ranger et le volume de paille nettement réduit.
Chaque phase nécessitait de la main d’œuvre.
Si l’on suit la chaîne décrite ci-dessus, il faut avoir une ou deux personnes pour transférer les gerbes de céréales du « gerbier » à la batteuse. Puis, intervient « l’homme clé » de l’opération : « l’engrangeur ». Celui-ci prend les gerbes une à une, coupe le lien et engage la gerbe, épis en avant, sur le batteur, cylindre horizontal, tournant à grande vitesse. Ceci sans protection. Ce poste est très dangereux avec des risques pour les mains et le visage. L’engrangeur devait avoir un rythme de travail soutenu et régulier. Vouloir aller trop vite risquait de « bourrer » la machine ou alors, au contraire, aller trop lentement réduisait le rendement.
Il fallait évacuer la paille ou les bottes selon les équipements, évacuer également les sacs de grains. Ceux-ci avaient un poids voisin de 100kgs.
La rentrée des foins à La Tour, Jarjayes.
Photo Y. Sarret
Le battage était une fête, un événement dans le cycle de production. Ces journées pénibles, au soleil, dans la poussière et le bruit demandaient des ouvriers robustes ne regardant pas le nombre d’heures passées au travail.
Ensuite sont apparues les moissonneuses batteuses de plus en plus perfectionnées. Les entreprises qui proposent leurs services se font rémunérer, soit à l’heure de fonctionnement de la machine, soit au tonnage récolté, soit en conservant une partie de la récolte, soit à la surface moissonnée.
Voici la vie d’un grain de blé qui du semis à la récolte a vu les techniques évoluer rapidement. Celles-ci ont cours de partout ; elles sont plus efficaces et moins pénibles mais ont enlevé toute la « poésie » des pratiques du passé.
Y. Sarret
Scène de moisson- La Tour-Jarjayes
Photo Y. Sarret
L’Association ATC de Jarjayes remercie tous les contributeurs qui ont bien voulu mettre à disposition les Photos présentées.
Photo d’entête: Les foins à Jarjayes, La Charrière- 1947-1948 (Photo M. Valentin)
Bonjour,
Très bel article de Mr Yvan Sarret sur » la vie d’un grain de blé « .
Nous rappeler ce passé, pas si lointain, nous pousse à plus de modestie et de respect, pour ces hommes et ces femmes qui font fructifier notre terre pour le bien commun.
Merci.
Bonjour,
Merci pour votre commentaire et à vos encouragements pour l’auteur de l’article.
Continuez à nous suivre sur « jarjayes.com ».
Bien à vous.
L’équipe d’ATC